L'âge de raison
Synopsis
Quatrième numéro de la collection Cinéastes d’aujourd’hui, L’âge de raison, le cinéma des frères Dardenne fait œuvre d’innovation, en l’absence des frères, pour entrer de plein pied dans une leçon de cinéma qui se construit en partant de l’intérieur des films.
La Promesse, Rosetta, Le Fils, L’Enfant, Le Silence de Lorna, Le Gamin au vélo : autant de films que les réalisateurs Alain Marcoen et Luc Jabon mettent en correspondance, en résonance, traçant les lignes d’un continuum thématique : de la figure controversée du père à la résistance des femmes, de la tentation du meurtre au pardon possible, des amours contrariées à l’amour inavouable.
Comme le titre le suggère, les frères Dardenne élaborent de véritables contes moraux dans lesquels les personnages sont confrontés à des choix, à des renoncements.
A l’avant-plan, le visuel et l’organique, dans la confrontation et la violence des corps, la souffrance des personnages livrée à l’état brut …
La subtilité de leurs constructions dramaturgiques fait que le sens n’est pas donné d’emblée, que l’émergence d’un détail apparemment anodin devient porteur d’une pensée, que l’apparence naturaliste est souvent guidée par un sous-texte symbolique.
C’est ce cheminement que le documentaire L’âge de raison a pour ambition d’emprunter.
Alain Marcoen, chef opérateur des frères depuis La promesse, y est notre guide. Il nous parle des scènes emblématiques qui l’ont bouleversé, part à la rencontre de la « famille » des comédiens – Olivier Gourmet, Emilie Dequenne, Fabrizio Rongione – et des techniciens dont Marika Piedboeuf, la scripte, Benoît Dervaux, le cadreur et Igor Gabriel, le chef décorateur.
Ceux-ci lui expriment leur passion pour ce cinéma qui les a fondés dans leur métier, du jeu d’acteur à la construction de leur personnage, de la mécanique des plans à la symbolique des objets, qui s’inscrivent dans un décor ou dans un paysage, réaménagés au point de paraître plus réaliste que la réalité.
Prenant du recul, les réalisateurs font intervenir deux personnalités, Laurent Busine et Vinciane Despret, qui, à partir de leur discipline respective – la peinture ou l’éthologie –, apportent un éclairage original sur le comportementalisme des personnages dans les films des frères et confirme la complexité de leurs dispositifs fictionnels.
La fin du film, surprenante, introduit en filigrane une image des frères, en remontant jusqu’à leur adolescence, espace de tous les rêves, dont celui qui a rendu possible leur cinéma …
Un documentaire qui nous plonge dans la subtilité d’une vision sublimée par des comédiens exceptionnels et qui donne envie de voir ou de revoir leur œuvre.
Pourquoi ce documentaire ?
Pour aller à la découverte de ce que Luc Dardenne écrit lui-même : « Où mettre la caméra ? C’est-à-dire : qu’est-ce que je montre ? Qu’est-ce que je cache ? Cacher, c’est sans doute le plus essentiel. »
Dans les films des frères, tout est construit, élaboré mais cette construction doit rester invisible, et cette élaboration ne divulgue pas sa complexité. Au contraire, à la vue d’un film des frères Dardenne, tout paraît « naturel », allant de soi, alors qu’il n’en est rien.
Il nous paraissait important de pouvoir montrer cet immense travail qui permet d’aboutir à une telle « simplicité ».
Par exemple, dans le film Le Fils, Benoît Dervaux, le cadreur des frères, effectue une véritable prouesse technique en filmant en un seul plan, dans une fluidité totale, le jeune Francis passant du siège passager avant à l’arrière du véhicule pour aller dormir sur la banquette.
Autre exemple : tout le travail du décorateur Igor Gabriel qui investit un lieu existant pour, sur indication des frères, le modifier considérablement. C’est le cas de la construction de la passerelle plongée dans La Meuse sur et sous laquelle Bruno et Steve se réfugient dans L’Enfant.
Mais cette « invisibilité » du travail ne concerne pas seulement la technique ou l’aménagement des décors et des lieux. Elle se déploie également dans les relations entre les personnages.
Ainsi, dans Le Gamin au vélo, toutes les étapes de séductions entre le jeune Cyril et Samantha ne relèvent-t-elle pas d’un amour qui ne dira jamais son nom ?
L’absence des frères dans le documentaire n’est-elle pas un handicap ?
D’abord, il faut savoir que cette décision des frères de ne plus se prêter pour le moment à l’exercice de l’interview, d’être donc absents dans le présent de ce documentaire, fut paradoxalement pour nous un argument décisif d’accepter ce projet.
Ensuite, le retrait des frères n’est pas dirigé contre qui que ce soit. Aucune arrogance dans cette décision. Indépendamment de ne pas répéter ce qu’ils ont déjà longuement confié à d’autres, il y avait plutôt l’argument de laisser la place à d’autres regards, plus autonomes, sur leur œuvre. D’où notre volonté, puisque Jean-Pierre et Luc nous laissent avec leurs œuvres, de partir des films eux-mêmes, de l’intérieur de ces films.
En partant de l’intérieur des films, nous espérions mettre les extraits en correspondance, plus nettement, plus fortement.
Les points communs, les images récurrentes d’un film à l’autre, les ruptures aussi, les conceptions du monde, des personnages, de filmage, nous sont ainsi apparues de plein fouet, en pleines résonances, collisions ou dialogues.
Enfin, c’était une autre manière de signaler au spectateur toute la force organique de leur mise en scène et du jeu des acteurs.
Pourquoi une co-réalisation pour ce documentaire ?
Dans le film, Alain Marcoen est présent dans l’image et dans le son, à la fois comme guide et narrateur. Luc Jabon l’a aidé à structurer le « récit » de ce documentaire à partir de tout un travail de lecture et d’imprégnation de la pensée cinématographique des Dardenne. Une alchimie s’est mise spontanément en place, dès le départ, avec le choix des extraits de films. Avec Alain, nous avons décidé alors de la poursuivre jusqu’au bout.
Que signifie ce titre : L’âge de raison ?
Ce titre, qu’Alain Marcoen a choisi, lie tout notre documentaire.
Il symbolise ce moment où un personnage discerne le bien du mal, où cette découverte l’écartèle, et voilà bien quelque chose que l’on retrouve dans la plupart des films des frères.
Même s’il n’est pas dans notre propos d’en faire une espèce de signification dernière, ce qui serait réducteur, ce moment de basculement où Cyril, Igor, Rosetta, Bruno, Lorna prennent conscience de la gravité et des conséquences de leurs actes (avec tout ce que cela induit comme travail de connaissance, d’apprentissages) irradie le cœur des films des frères.
Finalement, ce que nous espérons avec ce documentaire, c’est que ceux qui ne connaissent pas les films de Jean-Pierre et Luc Dardenne aient l’envie de les découvrir, que ceux qui ont des a-prioris ou des idées reçues au sujet de leurs films sortent ébranlés et que tous les autres soient agréablement surpris par la manière dont nous avons abordé leur cinéma.
Fiche technique
Réalisateur : Alain Marcoen et Luc Jabon
Image : Alain Marcoen, Géraud Vandendriessche et Thomas Schira
Assistant caméra : Géraud Vandendriessche
Son : Thierry De Halleux
Assistant réalisateur : Richard Gérard
Directeur de production : Bernard de Dessus les Moustier
Maquillage : Oriane De Neve et Djennifer Merdjan
Chef électro : Antoine Bellem
Electros : Cyril Dupont et Christophe Degroof
Chef Machino : Renaud Anciaux
Chef décorateur : Luc Noël
Assistant déco : Marc Nils
Montage son : Elise Pascal
Montage image : France Duez
Mixage : Jean-Luc Fichefet / Twins
Etalonnage : Laurent Begouin / ADN Studios
Producteurs : Francis Dujardin (Cinémathèque de la Fédération Wallonie-Bruxelles)
Bernard de Dessus (Novak Prod)
Intervenants : Emilie Dequenne, Olivier Gourmet, Fabrizio Rongione, Vincianne Despret, Laurent Busine, Marika Piedboeuf, Igor Gabriel, Benoît Dervaux, Amaury Dequenne
Coproduction : Cinémathèque de la Fédération Wallonie-Bruxelles – Novak Prod – RTBF Secteur Documentaire – Wallonie Image Production – Avec l’aide de la Loterie Nationale – Belgacom– Ciné +
Avec le soutien de Madame Fadila Lanaan, Ministre de la Culture, de l’Audiovisuel, de la Santé et de l’Egalité des chances de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Le réalisateur : Alain Marcoen
Chef opérateur et réalisateur, Alain Marcoen accompagne Luc et Jean-Pierre Dardenne dans leur œuvre cinématographique depuis La promesse, Rosetta, Le Fils, L’enfant … Il est par ailleurs chef opérateur pour bien d’autres films comme La régate de Bernard Bellefroid ou encore Elle ne pleure pas, elle chante de Philippe de Pierpont.
Il est également professeur à l’Institut des Arts de Diffusion (Louvain-la-Neuve, Belgique).
Filmographie en tant que Directeur de la Photographie
- 1989 : La Mina de Loredana Bianconi
- 1996 : La Promesse de Jean-Pierre et Luc Dardenne
- 1997 : Lalla Hoby de Mohamed Tazi
- 1998 : Rosetta de Jean-Pierre et Luc Dardenne
- 2000 : L’Equipée Belle de Jean-Christophe Rosé
- 2001 : Une Employée Modèle de Jacques Otmezguine
- 2001 : Le Fils de Jean-Pierre et Luc Dardenne
- 2002 : How I killed a Saint de Teona Mitevska
- 2004 : L’Enfant de Jean-Pierre et Luc Dardenne
- 2004 : Nous n’étions pas des Amis de Marie-Anne Thunissen
- 2008 : Le Silence de Lorna de Jean-Pierre et Luc Dardenne
- 2009 : La Régate de Bernard Bellefroid
- 2009 : Marieke, Marieke de Sophie Schoukens
- 2010 : Elle ne pleure pas, elle chante de Philippe de Pierpont
- 2010 : Le gamin au vélo de Jean-Pierre et Luc Dardenne
- 2011 : Gimme Shelter de Ron Krauss
- 2012 : Abus de Faiblesse de Catherine Breillat
- 2013 : Deux Jours, une nuit de Jean-Pierre et Luc Dardenne
Fimographie en tant que Réalisateur
- 1986 : Dossard
- 1993 : Johan Bruyneel, avec Dirk Dewolf
- 1998 : Le Glaive Brisé
- 2008 : Coin Rouge, Coin Bleu
- 2013 : L’âge de raison, le cinéma des frères Dardenne, avec Luc Jabon
Le réalisateur : Luc Jabon
Né à Bruxelles, Luc Jabon écrit des scénarios depuis plus de 30 ans.
Il a co-scénarisé de nombreux films belges, dont Le Maître de musique de Gérard Corbiau, Babylone de Manu Bonmariage, Marie de Marian Handwerker, La Chanteuse de Tango de Diego Martinez Vignatti, Pianissimo d’André Buytaers.
Il a également co-scénarisé de nombreux téléfilms, dont Une sirène dans la nuit de Luc Boland, La Colère du Diable de Chris van der Stappen, Avec le Temps de Marian Handwerker et, récemment, Des Roses en hiver de Lorenzo Gabriele.
Il est également co-scénariste de nombreux documentaires, dont ceux de la collection Cinéastes d’aujourd’hui de la Cinémathèque de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Luc Jabon a réalisé plusieurs documentaires, De clou à clou, Le Diable dans la philosophie, Trio Bravo, ainsi que La vie d’un Lecteur au temps de la fin du livre.
Un long-métrage de fiction qu’il compte réaliser, Les Survivants, est en cours de production.
Il pratique également de nombreux script-doctoring en fiction comme en documentaire. Il a été expert pour le plan Media.
Au théâtre, il a librement adapté, avec Dominique Serron (l’Infini Théâtre) le scénario de Lolita écrit par Nabokov pour Stanley Kubrick.
En tant que professeur, il anime l’atelier de scénario des films de fins d’études à l’I.A.D. (Institut des Arts de Diffusion à Louvain-la-Neuve). Il a donné également un séminaire sur les théories scénaristiques à la Sorbonne (Université Paris 1).
Enfin, il est actif dans le secteur associatif (il préside la Fédération Pro Spere qui rassemble les associations professionnelles belges des réalisateurs, des scénaristes, des comédiens, des créateurs radiophoniques et les sociétés d’auteurs). Il est président du Comité belge de la SACD et de la Coalition francophone belge pour la diversité culturelle.
Depuis 1975, Jean-Pierre et Luc Dardenne dirigent l’atelier de production Dérives, qui à ce jour, a produit une soixantaine de documentaires.
Luc Dardenne tient également un atelier d’écriture à l’Université Libre de Bruxelles et a publié en 2005 aux éditions du Seuil un livre de réflexion sur leur travail cinématographique : Au dos de nos images. Ce livre comprend également les scénarios des films Le Fils, L’Enfant écrits par Jean-Pierre et Luc Dardenne. L’édition de poche (Le Seuil, Points n°601) parue de 2008, comprend en outre le scénario du long-métrage Le silence de Lorna écrit par Jean-Pierre et Luc Dardenne. Ce livre a été traduit en espagnol, italien et finnois, et sera prochainement édité en chinois.
Luc Dardenne a également écrit un essai philosophique intitulé Sur l’affaire humaine qui vient d’être publié aux éditions du Seuil.
1974 – 1975 – 1976 – 1977 : Vidéo d’intervention dans différentes cités ouvrières de Wallonie sur les problèmes d’urbanisme et de vie collective, reportages sur des questions sociales
1978 : Le chant du Rossignol – Documentaire sur la résistance anti-nazie en Wallonie
1979 : Lorsque le bateau de Léon M. descendit la Meuse pour la première fois – Documentaire sur la grève générale de 1960 en Belgique
1980 : Pour que la guerre s’achève, les murs devaient s’écrouler – Documentaire sur un journal clandestin rédigé par des ouvriers des usines de Cockerill de 1961 à 1969
1981 : R…ne répond plus – Documentaire sur les radios libres en Europe
1981 – 1982 : Producteurs et premier assistant réalisateur (Luc) et premier assistant (Jean-Pierre) sur le film long-métrage d’Armand Gatti tourné en Irlande du Nord et en Belgique : Nous étions tous des noms d’arbres
1982 : Leçons d’une université volante – Documentaire à propos de cinq émigrations ou exils hors de Pologne de 1930 à décembre 1981
1983 : Regarde Jonathan/Jean Louvet, son œuvre – Documentaire
1984 : Écriture du scénario : Ernst Bloch ou enquête sur le corps de Prométhée
1986 : Falsch – Long métrage Fiction – Adaptation de la pièce de René Kalisky
Sélectionné dans différents festivals dont Berlin (Forum) et Cannes (Perspectives du Cinéma français) – Prix S.A.C.D. (Belgique, 1987) et Prix de la Critique au festival de Riccione (Italie, 1987)
1987 : Il court…Il court le monde – Fiction – Court métrage
1991 – 1992 : Je pense à vous – Long métrage Fiction
- Prix d’interprétation féminine pour Fabienne Babe et Prix du Public au Festival International du Film Francophone de Namur – 1992
- Sélectionné aux Rencontres de Cannes 1992 et au 8ème Festival du Film de Paris – 1993
- Prix du Public au Festival d’Arcachon (Ex Festival de Biarritz) France en – 1993
1995 – 1996 : La promesse – Long métrage fiction
Une vingtaine de prix internationaux dont :
- Prix de la Confédération Internationale des Cinémas d’Art et d’Essai au festival de Cannes (Quinzaine des Réalisateurs) – 1996
- Bayard d’Or du meilleur film, Bayard d’or du meilleur comédien (Olivier Gourmet) et Prix du public au Festival International de Namur (Belgique) – 1996
- Grand Prix (Epi d’Or) et Prix de la Critique Internationale (FIPRESCI) au Festival de Valladolid (Espagne) – 1996
- Prix CGER du meilleur long métrage belge – 1997
- Prix de la Critique Internationale (CIFEJ) au Festival du Film de Frankfurt
- Prix Joseph Plateau du meilleur film, du meilleur réalisateur et de la meilleure actrice dans le cadre du Festival International du Film de Flandre à Gand (Belgique) – 1997
- Prix Cavens (UCC) Belgique – 1997
- Prix du meilleur film étranger de l’année (Los Angeles Society of Film Critics)
- Prix du meilleur film de l’année (Seattle Society of Film Critics)
- Prix du meilleur film étranger aux USA (National Society of Film Critics)
- Crystal Simorgh Prize du meilleur film au Festival de Téhéran – 1998
1999 : Rosetta – Long métrage fiction
Palme d’Or et Prix d’interprétation féminine (Emilie Dequenne) au Festival de Cannes – 1999
2002 : Le Fils – Long métrage
Prix d’interprétation masculine (Olivier Gourmet) au Festival de Cannes – 2002
2004-2005 : L’enfant – Long métrage
Palme d’Or au Festival de Cannes – 2005
2006-2007 : Dans l’obscurité – court métrage réalisé pour les 60 ans du Festival de Cannes 2007
2007-2008 : Le Silence de Lorna – Long métrage
– Prix du meilleur scénario au Festival de Cannes – 2008
– Prix Lux 2008 décerné par le Parlement européen
– Lifetime achievement Award 2008 au Festival de Vlissingen (Pays-Bas)
– Golden Alexander Award 2008 au Festival de Thessalonique (Grèce)
2010-2011 : Le Gamin au Vélo – Long métrage
- Grand Prix au Festival de Cannes – 2011
- Prix Fiesole – 2011 (Italie)
- Flaiano d’Oro – 2011 (Italie)
- Festival du Film de Telluride – 2011 (USA)
- Prix Robert Bresson – 2011 (Italie)
- Prix Joseph Plateau – 2011 (Belgique)
- Prix du Meilleur acteur pour Thomas Doret au Texture Film Festival – 2011 (Russie)
- European Film Awards 2011 du Meilleur scénario
- Nomination aux Independent Film Spirit Awards 2012 dans la catégorie Meilleur film international (USA)
- Nomination au Golden Globes Awards – 2012 (USA)
- Nomination aux Césars 2012 dans la catégorie Meilleur film étranger (France)
- Magritte du cinéma 2012 du Meilleur espoir masculin pour Thomas Doret (Belgique)
2014 : Deux jours, une nuit – Long-métrage
- Prix spécial du jury œcuménique pour les Frères Dardenne (sélection officielle) – Festival de Cannes 2014
- Sydney Film Prize – Festival du film de Sydney 2014