Au-delà des mots


Le cinéma de Joachim Lafosse : Synopsis


Au-delà des mots, le cinéma de Joachim Lafosse, sixième épisode de la collection Cinéastes d’aujourd’hui, nous emmène dans l’odyssée filmographique de ce cinéaste d’à peine 40 ans.
En une soixantaine de minutes, Luc Jabon nous fait partager l’univers cinématographique de celui qui fut son élève en scénario à l’IAD, école de cinéma.

Un homme, somme toute, qui raconte les hommes. Car ce que Joachim cherche sans cesse à percer, c’est l’humain, avec ses faiblesses, sa violence, sa fragilité, mais aussi son désir de rassembler, de pacifier.
Pour mieux approcher la complexité du cinéaste ainsi que celle de son œuvre (7 films de fiction en moins de 15 ans), Luc Jabon a mis en situation quelques uns de celles et ceux qui accompagnent ce trajet hors du commun.

Ainsi, dans un café bruxellois, Catherine Salée et Kris Cuppens, acteurs tous les deux, se remémorent ce parcours. Catherine rappelle à quel point, chez Joachim, la réalité et la fiction s’entrechoquent jusqu’à devenir le sujet d’un film comme « Ça rend heureux » où la mise en abîme entre le cinéma et la vie est telle qu’elle finit par être tournée en dérision.

Kris Cuppens, lui, évoque ces déchirements familiaux intimes qui, transfigurés par la fiction, se métaphorisent autour d’une table, comme dans Nue propriété. Ou dans cette séquence de Folie privée quand Kris se retrouve exclu, en bout de table, contemplant, meurtri, son tout jeune fils faisant rire avec une blague, sa mère et son nouveau compagnon.

A chaque fois, la mise en scène des gestes du repas chorégraphient les luttes intestines.
Matthieu Reynaert et François Pirot, co-scénaristes de Joachim Lafosse, se confrontent, eux, à la question des limites.

Avec A perdre la raison pour Matthieu Reynaert : comment raconter un fait divers aussi tragique qu’un quintuple infanticide ? Comment le traiter à travers une fiction cinématographique, quand nous savons tous qu’il restera à jamais une part énigmatique dans ce geste tragique ?

Matthieu Reynaert évoque le désir de Joachim de révéler la femme qui se cache derrière le personnage de cette meurtrière, traitée parfois unilatéralement de « sorcière » ou de « monstre ». Les blessures de la mère infanticide dans A perdre la raison l’amèneront à transgresser ses propres limites, emmenant le personnage du film à s’aventurer sur un chemin qui n’aurait jamais été imaginable pour elle d’emprunter.

Certains auront critiqué le cinéaste face à ces choix, mais ses producteurs, Olivier et Jacques-Henri Bronckart, ainsi que Sylvie Pialat, retiendront l’acharnement de Joachim à vouloir traiter un tel fait divers sous cet angle. En cherchant le point de vue cinématographique le plus juste possible, comme dans la scène finale du film où toute la scène de l’infanticide est « hors-champ ».

Pour François Pirot, le film de Joachim, Elève libre, se confronte aussi aux limites, celle de la sexualité à l’adolescence. La jouissance comme violence, transmise par des pervers qui, comme le note Joachim, ne se voient évidemment jamais comme pervers. Ils tiennent seulement à partager leurs pratiques tel un savoir, une science, instrumentalisant le jeune Jonas, négligeant le plaisir que cet adolescent pourrait découvrir précieusement par lui-même.

Avec Les chevaliers blancs, autre fait divers abondamment commenté (celui de l’Arche de Zoé, du nom de cette association humanitaire qui tentera d’exfiltrer d’Afrique une centaine d’orphelins), Joachim ne tourne pas seulement un huis-clos au milieu de grands espaces mais il approfondit ses thématiques sur l’inconscience, l’obstination, l’aveuglement. Miroir des ambiguïtés humaines. Version imagée du proverbe « l’enfer est pavé de bonnes intentions« .

Avec, pour ses producteurs, toujours cette intention profonde de laisser une place importante au cheminement du spectateur, en refusant d’imposer à celui-ci un point de vue définitif.

Et, pour le film lui-même, cette nécessité d’un entourage qui le porte le plus loin possible. En parlant du tournage dans le désert du Maroc pour Les chevaliers blancs avec Catherine Salée, Kris Cuppens évoque son regret de n’avoir pu participer à cette aventure. « Pas pour faire le cinéma, mais pour être dans la famille« , confessera-t-il.

La famille, ce sujet de prédilection évoqué sous toutes les coutures par le prolifique réalisateur, revient à nouveau dans L’économie du couple. Pour des raisons financières, Bérénice Bejo et Cédric Kahn se doivent de rester dans les mêmes murs qui les ont vus amoureux alors que le couple a maintenant volé en éclat. Une fable moderne, ancrée dans la réalité d’aujourd’hui où les questions d’argent minent parfois définitivement des sentiments autrefois si fusionnels.

Là aussi, comme le soulignent les frères Bronckart et Sylvie Pialat ainsi que Catherine Salée, inlassablement présente dans les films de Joachim, il s’agit de mettre en place les conditions, toujours singulières et spécifiques à chacun de ses films, pour que le « terrain de jeu » soit le plus pertinent possible.

Mêlés à divers making-off et d’images inédites de Joachim Lafosse au travail, en une décennie déjà passée, ce que Joachim et tous les interlocuteurs du documentaire nous livrent, montre à quel point ses films nous renvoient notre propre reflet. Ils nous regardent. Jamais dans l’indifférence. Tels des témoins d’une société en pleine mutation. Mais ce que nous offre Luc Jabon raconte aussi, au-delà des mots, le parcours d’un cinéaste encore en plein devenir…

 

Né à Bruxelles, Luc Jabon écrit des scénarios depuis plus de 30 ans.

Il a co-scénarisé de nombreux films belges, dont Le Maître de musique de Gérard Corbiau, Babylone de Manu BonmariageMarie de Marian HandwerkerLa Cantate de Tango de Diego Martinez Vignatti.

Il a également co-scénarisé des téléfilms, dont Une sirène dans la nuit de Luc BolandLa Colère du Diable de Chris van der StappenAvec le Temps de Marian Handwerker et Des Roses en Hiver de Lorenzo Gabriele.

Il a réalisé plusieurs documentaires, De clou à clouLe diable dans la philosophieTrio BravoLa vie d’un lecteur au temps de la fin du livreL’âge de Raison, le cinéma des frères Dardenne, co-réalisé avec Alain Marcoen et tout récemment, Au-delà des mots, le cinéma de Joachim Lafosse.

Il vient également de réaliser son premier long-métrage de fiction, Les Survivants.

Professeur de scénario à l’IAD (Institut des Arts de Diffusion), il publie aux Editions du Nouveau Monde Scénario et Réalisation, modes d’emploi ? écrit en collaboration avec Frédéric Sojcher.

 

La filmographie de Joachim Lafosse est déjà dense : 7 longs métrages en 15 ans.

Valeur forte du cinéma contemporain, Joachim Lafosse voit sa carrière monter en puissance et bénéficier d’une reconnaissance, tant nationale (Magritte 2013), qu’internationale (Prix d’interprétation féminine d’Emilie Dequenne – Cannes 2012).

Ce jeune cinéaste, né en 1974, témoigne d’une volonté affirmée de se frotter sans manichéisme à des sujets âpres et complexes, que d’aucuns jugent tabous, pour les rendre plus accessibles. Adepte de sujets forts, sa filmographie est peuplée de personnages souvent monstrueux, dont il cherche à comprendre les motivations. Comme on le sait, « la route de l’enfer est pavée de bonnes intentions ». Au cœur de ses films se succèdent des personnages souvent psychotiques, qui pensant faire le bien, sèment les graines du mal. Tout est question de « limites » dans le cinéma de Joachim Lafosse.

Folie privée et A perdre la raison mettent en scène des monstres, au sens littéral du terme. L’important n’est pas d’expliquer leur infanticide, mais de s’interroger sur les raisons qui les ont amenés à le commettre. Comment cet homme et cette femme, semblables à nous, animés de bonnes intentions, transgressent nos limites, des limites qui leur font défaut. Le père de Folie privée ne parvient pas à se défaire du lien qui l’aimante à sa famille. De même que les deux frères de Nue propriété, incapables d’assumer l’autonomie qui leur est imposée, transforment leur amour en violence.

On retrouve cette notion de « limites » dans toute l’œuvre de Lafosse, et en particulier dans Élève libre. Le cinéaste s’intéresse aux questions de la transmission et de l’éducation entre un adulte et son jeune élève. Qu’est-ce que l’on transmet ? Sans concession, le cinéaste crée le malaise chez le spectateur, poussé à se demander où est et d’où vient le mal. Son cinéma en appelle non pas à la croyance du spectateur, mais à sa vigilance. Un cinéma rarement confortable, qui soulève des questions morales et pousse le spectateur à s’interroger sur ses propres limites.

Après A perdre la raison, inspiré par l’incrédulité suscitée par le geste effroyable de Geneviève Lhermitte, mère quintuple infanticide, Lafosse s’inspire à nouveau d’un fait divers récent avec Les chevaliers blancs, qui nous interpelle sur les limites et les dérives de l’action humanitaire, en s’inspirant de l’Arche de Zoé, affaire politico-judiciaire qui fit scandale parce des travailleurs humanitaires, prétendument bien intentionnés, tentèrent d’extraire illégalement des dizaines d’orphelins du Darfour, pour les faire adopter par des familles françaises.

Son dernier film, L’économie du couple, s’empare pour la première fois d’un sujet dont il n’est pas à l’origine, puisque le scénario de base fut écrit par Mazarine Pingeot et Fanny Burdino. Ce huis clos centré sur la fin d’un amour et la séparation d’un couple, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes 2016, a été plébiscité par la critique et le public.

Avec talent, Joachim Lafosse s’est aussi immiscé dans la comédie avec Ça rend heureux (2006) en relatant les déboires autobiographiques et hilarants d’un jeune cinéaste plongé dans les affres d’un tournage sans le sous.

Son huitième opus, Le fils de la Loi est scénarisé et en cours de financement.

 

Réalisateur : Luc Jabon
Production : Eric van Zuylen
Scénario : Luc Jabon
Image : Joachim Philippe et Géraud Vandendriessche
Prise de son : Bruno Schweisguth
Montage : France Duez
Assistant montage : Géraud Vandendriessche
Montage son : Gervaise Demeure
Etalonnage : Joachim Philippe
Mixage : Philippe Charbonnel

Directeur de Production : Thomas van Zuylen
Assistante de Production : Laura Mortier

Producteurs : Cinémathèque de la Fédération Wallonie-Bruxelles et Ryva Production
Une coproduction : Cinémathèque de la Fédération Wallonie-BruxellesRyva ProductionRTBF Secteur DocumentaireCiné +Loterie nationaleTV5 Monde

Avec le soutien de Madame Alda Greoli, Vice-présidente et Ministre de la Culture et de l’Enfance de la Fédération Wallonie-Bruxelles